Interview d'Els Steen, nouvelle Présidente de l'IJE

Els Steen a commencé sa carrière au barreau avant de rejoindre Ahold Delhaize en 2004 où elle est actuellement directrice juridique (CLO) pour l'Europe et l'Indonésie.Au cours de son mandat précédent au Conseil de l’IJE, Els Steen était active au sein du Comité Exécutif (ExCo) et occupait le poste de Vice-Présidente.Depuis janvier 2022, elle est Présidente du Conseil de l’IJE. Nous l'avons interrogée à cette occasion.

Vous êtes récemment devenu notre Présidente. Pourquoi voulez-vous être la figure de proue de l'IJE ?

Honnêtement - j’ai eu des doutes sur mon engagement. J'avais vu combien de temps et d'énergie il fallait à mes prédécesseurs et je n'ai pas ce temps. J'ai été transparente à ce sujet et, à ma grande surprise, de nombreuses personnes (disposant elles-mêmes de peu de temps) m'ont convaincue qu'ensemble nous pourrions faire les choses différemment et que je pouvais compter sur elles. Cet état d'esprit me procure beaucoup d’énergie. Je ne suis pas le genre de personne qui veut avoir son mot à dire sur tout. Mais s’il s’agit de coacher une équipe bien huilée qui collabore, avec des individus forts, je suis partante.

Je pense également qu'il est important que notre profession soit plus fière d'elle-même. Les juristes d'entreprise sont généralement très modestes et vivent souvent dans les coulisses de leur entreprise en raison de la discrétion et de la confiance qu'exige ce travail. Parce que vous construisez progressivement beaucoup de crédibilité et de confiance en interne, vous avez un impact bien réel sur la gestion et la direction stratégique de votre entreprise. Vous pouvez également faire en sorte que votre entreprise prenne ses responsabilités sociétales. Je pense que les juristes d'entreprise sous-estiment parfois leur impact et leur potentiel.

Quel est selon vous le rôle d'une ou d’un juriste d'entreprise ?

Les juristes d’entreprise ont plusieurs types de rôle. A mon avis, la principale valeur ajoutée d'un juriste d'entreprise dans le contexte actuel est d'apprendre à adopter une attitude de gestion des risques. Vous ne pouvez pas être expert en tout ; la masse d'informations en lien avec laquelle vous devez prendre des décisions n'est plus gérable. En tant que juriste d'entreprise, connaître et reconnaître les risques de votre entreprise et prendre les bonnes mesures relatives à ceux-ci constitue une grande valeur ajoutée. Soit vous atténuez ces risques dans la mesure du possible, ensemble avec vos collègues, soit vous devez accepter leur existence et orienter l'entreprise vers des choix éthiques, même si la réglementation est parfois en retard. Ce genre de considérations est inhérent à notre travail. Le juriste d'entreprise doit être capable de naviguer à travers les vagues de réglementations, d'actualités, de normes, de valeurs de l'entreprise et de guider l'entreprise vers les choix les plus éthiques. Pour cela, il faut oser prendre de la hauteur afin de pouvoir surveiller ce qui se profile à l’horizon et pouvoir anticiper ce qui vient.  Votre réseau peut être très utile à cette fin.

Quels sont vos projets en tant que nouvelle présidente ?

Je veux promouvoir davantage la profession de juriste d'entreprise. Nous sommes un Institut modeste, comme le sont nos membres, mais en réalité il méritent plus de reconnaissance en tant que profession juridique. Je souhaite mieux expliquer la profession et son importance pour la société et le monde des affaires. Toute entreprise qui se respecte emploie désormais un ou des juristes d'entreprise. C'est devenu un besoin fondamental pour toute entreprise moderne, et pas seulement pour les grandes. En outre, je pense personnellement que l'enseignement du droit dans les universités se concentre sur les connaissances théoriques, mais après avoir obtenu leur diplôme, la plupart des étudiants semblent incapables de rédiger un contrat, et encore moins de savoir ce que signifie la gestion des risques.

Vous êtes également CLO d'Ahold Delhaize. Pouvez-vous décrire brièvement l'évolution de votre carrière jusqu'à présent ?

J'ai commencé au Barreau, d'abord d’Anvers, puis de Bruxelles. J'ai ensuite rejoint le Groupe Delhaize et j'ai commencé assez rapidement à voyager en Europe pour des projets de fusion et d'acquisition (M&A). Le droit de la concurrence était mon autre passion. En réalité, depuis que j'ai commencé chez Delhaize, je n'ai pas eu le même emploi pendant plus de deux ans. On le voit régulièrement, un juriste d’entreprise évolue souvent dans la fonction et dans l’entreprise. Une fois qu’on a compris la valeur ajoutée d’un juriste d’entreprise, les choses bougent rapidement. En 2012, je suis devenue responsable du service juridique de Delhaize Belgique et je suis devenue membre du comité de direction belge. Petit à petit, j'ai ’jouté d'autres départements à mon champ de travail, tels que la sécurité alimentaire, la qualité, la protection des actifs et la sécurité. C'est ainsi que l'on apprend à connaître une entreprise en profondeur et que l'on apprend également l’importance d’avoir de bons processus et accords.

Les juristes d'entreprise ont une vision unique des rouages et des processus internes d'une entreprise ; ils savent souvent sur quels boutons il faut appuyer pour obtenir quelque chose. Pour moi, c'est une différence importante entre la profession d'avocat et celle de juriste d'entreprise : un avocat est avant tout engagé pour son expertise technique, il doit avant tout avoir raison. Un juriste d'entreprise doit également avoir les connaissances, mais il peut se permettre de savoir où se trouvent ces connaissances. Un juriste d'entreprise a surtout un impact sur l'entreprise et sait ce qu'il faut faire pour faire bouger l'entreprise. Après tout, à quoi bon avoir raison si vous n'avez pas raison quand il le faut ?

Depuis la fusion entre Ahold et Delhaize, j'occupe un poste international où je supervise différents départements juridiques. C'est très varié, mais dans cette diversité, vous constatez que les directeurs juridiques du monde entier sont souvent confrontés aux mêmes problèmes et vous remarquez des tendances mondiales qui se poursuivent et qui, par exemple, de la Roumanie finissent par se répercuter en Belgique ou aux Pays-Bas.

À quoi ressemble une de  vos journées ou semaines types?

Mes journées sont comme celles de la plupart des gens. Toutes les pièces du puzzle doivent être rassemblées chaque jour. En dehors de cela, j'ai beaucoup de réunions via Teams. Je ne suis pas payée pour lire et classer mes e-mails ; je me suis résignée à ne pas être capable de dompter ce flux. Je me suis résignée au fait que je ne sais pas tout et que je ne pourrai pas tout savoir. Il est plus utile pour moi de savoir à qui demander quelque chose et où trouver l'information. Un réseau de personnes dont je connais l'expertise est donc très important pour moi. Je sais ainsi quelles personnes réunir pour obtenir des résultats. Si vous faites confiance aux personnes, vous obtenez parfois des résultats surprenants et de belles solutions.

Je suis surtout occupée avec l’humain. En tant que juriste d'entreprise, vous ne voyez pas toujours les personnes sous leur meilleur jour ; il est important d'absorber et de relativiser cela. D’ailleurs, j'ai récemment oublié de dire à mes parents que j'étais devenue Présidente de l'IJE. Ma famille et mes amis n'ont en réalité qu'une vague idée de ce que je fais. Mon identité n'est pas nécessairement définie par mon travail, même si j'aime beaucoup mon travail.

Qu'est-ce qui vous attire pendant votre temps libre ?

« Apprendre » est un hobby à part entière pour moi. Depuis une dizaine d'années, je définis chaque année une « compétence de l'année » (skill of the year), qui peut aller dans tous les sens : le surf, la calligraphie, un cours d’œnologie, le crochet, etc. You name it, I did it. Cela m'apprend à connaître des lieux et des personnes que je n'aurais pas rencontrés si j'étais resté en terrain connu. Cette année, c'est devenu le karaté, et je vais peut-être même continuer à en faire car la philosophie même du karaté est l'apprentissage tout au long de la vie, le développement personnel et la maîtrise de soi.

Avez-vous un message pour nos membres ?

Le terrain de jeu a changé, la situation a changé, surtout ces deux dernières années. Et nous devons nous adapter. C'est pourquoi mon principal message est le suivant : sortez de votre cage, pensez à vos relations, continuez à apprendre et à vous développer. Accrochez-vous à cette communauté de juristes d’entreprise, car vous ne pouvez pas tout superviser tout seul. Un mode de travail plus virtuel sera un fait permanent, mais ne perdez pas de vue votre réseau, qui devient de plus en plus important dans notre profession.

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