Interview : Benoît Kohl, Président du CEPANI et Marc Beyens, Président de l’IJE

Interview : Benoît Kohl, Président du CEPANI et Marc Beyens, Président de l’IJE

Le juriste d’entreprise joue un rôle clé dans la prévention et la gestion des litiges de son entreprise. Il est idéalement placé pour promouvoir l’utilisation de méthodes alternatives de règlement des litiges, telles que l’arbitrage et la médiation. C’est dans ce cadre qu’un partenariat entre l’Institut des juristes d’entreprise et le CEPANI (Centre belge d’arbitrage et de médiation) prend tout son sens.

Dans cette interview croisée, Marc Beyens, Président de l’IJE, et Benoît Kohl, Président du CEPANI, reviennent sur leur engagement en tant que président et sur la collaboration entre ces deux instituts.

1. Que signifie pour vous la présidence d’un Institut ? Quelle a été votre force motrice pour vous engager dans un rôle d’une telle envergure ?

Marc : J’essaie depuis toujours d’avoir un engagement social tant sur le plan professionnel que sur le plan privé. Au niveau privé,  j’ai été engagé longtemps socialement notamment dans le domaine de l’aide à enfance et  jeunesse en difficulté.
Au niveau professionnel, j’ai été Président de l’association mondiale du droit nucléaire (International Nuclear Law Association).

Il y a quelques années, on m’a demandé de rejoindre le Conseil de l’Institut des juristes d’entreprise et y suis devenu trésorier. Une mission que j’ai accomplie avec grand intérêt. De fil en aiguille, mes collègues m’ont poussé à me présenter comme candidat à la présidence de l’Institut. La défense de l’intérêt collectif des juristes d’entreprise me semblait juste, de même que la promotion du rôle sociétal du juriste d’entreprise : le juriste d’entreprise doit à la fois pouvoir aider adéquatement l’entreprise pour laquelle il travaille, et en même temps être le garant de l’état de droit, et préserver son indépendance intellectuelle, même si ce n’est pas tous les jours facile.

Benoît : Comme Marc l’a dit précédemment, il s’agit d’un engagement social. Je me suis déjà engagé par le passé, au sein de l’Ordre des avocats et au sein de plusieurs commissions à l’Université de Liège.  J’ai créé, il y a 10 ans, l’association belge du droit de la construction dont j’étais Président jusqu’en 2020, et j’ai également assumé la présidence de la European Society of Construction Law. Dans ma vie privée, je m’occupe également de plusieurs associations. Je possède une sorte de « fibre de service » qui complète mon équilibre intellectuel et social. Cependant, depuis 2020, j’ai sensiblement réduit mes activités dans d’autres organisations dans la perspective de me consacrer davantage au CEPANI.

2. Comment la crise sanitaire a-t-elle impacté le cours de votre mandat?

Benoît (dont le mandat a débuté en juin 2020) : La crise sanitaire à impacté l’activité du CEPANI en tant que forum d’échange et de convivialité. Le CEPANI est également très actif à l’étranger à travers des conférences et des organisations internationales. Nous avons par exemple l’habitude de nous rendre à Vienne pour accompagner les étudiants (notamment les étudiants belges) dans le cadre du Willem C. Vis International Commercial Arbitration Moot, qui est un exercice de plaidoirie en arbitrage international regroupant chaque année plus de 2000 étudiants. Nous nous rendons également à New-York et encore une fois à Vienne pour représenter le CEPANI aux travaux de l’UNCITRAL (ONU) relatifs à l’arbitrage international. Plusieurs événements sont également organisés chaque année avec les organisations d’arbitrages « sœurs » présentes dans différents pays. Nous accompagnons aussi les missions économiques princières à l’étranger, pour y présenter l’arbitrage et rappeler l’importance de la place de Bruxelles comme siège des tribunaux arbitraux. Tout ceci a dû être mis entre parenthèses.

En ce qui me concerne, la crise sanitaire a eu un impact sur le début de mon mandat. Par exemple, l’Assemblée Générale Ordinaire  du CEPANI qui se tient chaque année au mois de juin n’a pas pu avoir lieu. Je regrette de ne pas avoir pu célébrer le départ de Dirk De Meulemeester, le président sortant, qui s’est énormément investi dans le CEPANI durant les six années de son mandat. Le fait de ne pas pouvoir participer aux réunions du conseil d’administration ou du bureau restreint en présentiel, les rendent moins « conviviales » et plus « formatées ». Par ailleurs, nos activités qui se suivent généralement par un cocktail de networking ont été interrompues. C’est généralement durant ces moments d’échanges que les contacts entre le CEPANI et les praticiens de l’arbitrage se renforcent et que les avocats et juristes d’entreprise apprennent à mieux se connaître.

Par contre, la crise du sanitaire n’a en rien impacté le CEPANI en tant qu’organisme de gestion des arbitrages et des médiations puisque nous avions déjà auparavant prévu dans le Règlement d’arbitrage que tous les arbitrages et les procédures de médiation puissent avoir lieu de manière électronique. Ceci constitue un énorme avantage par rapport aux tribunaux, où à l’heure actuelle, les avocats sont malheureusement toujours tenu de plaider le dossier physiquement, sans pouvoir l’exposer par les moyens qu’offrent la vidéoconférence.

Marc (dont le mandat a débuté en novembre 2018) : Tout comme pour Benoît, la crise sanitaire a impacté toute la dimension des contacts humains. En tant que Président, je suis amené à multiplier les contacts au niveau national et international et malheureusement, ces contacts, par la nature des choses, ont dû être réduits. C’est bien sûr une grande frustration de ne pas pouvoir rencontrer les gens, et de devoir nous limiter à l’écrit, ou à des réunions virtuelles. En septembre dernier, nous devions fêter les 20 ans de l’IJE au Bozar. A notre grande tristesse, cet évènement a dû être reporté.

Cela étant, il y a eu des aspects positifs. Nous avions l’ambition d’organiser un grand nombre de formations de manière virtuelle. La crise sanitaire a accéléré de manière extraordinaire ce processus de digitalisation. Depuis lors, nous avons élargi notre offre de formations et organisé plus d’une  centaine de webinaires pour les membres de l’IJE. Ceci nous a permis de garder un lien avec nos membres où qu’ils se trouvent géographiquement. Nous avons également pu observer un plus grand taux de participation aux formations virtuelles. Il est certain que nous tirerons les leçons de cette pandémie et que nous ne reviendrons sans doute jamais à la situation d’avant Covid-19. L’exercice sera de trouver un équilibre entre la nécessité et le plaisir de se rencontrer dans un même espace, et aussi l’efficacité gagnée par les réunions virtuelles. Je remarque que les réunions virtuelles perdent un peu en convivialité mais gagnent aussi en efficacité, en termes respect de la durée, de prise de parole mieux structurée,….

3. Pourquoi avoir choisi récemment de concrétiser les relations entre l’IJE et le CEPANI ? Quel est l’intérêt commun pour les professions que vous représentez ?

Benoît : Tant l’Institut que le CEPANI ont la volonté d’être au service des entreprises. Le juriste d’entreprise est la première personne confrontée aux conflits et c’est lui qui proposera à sa Direction de recourir à une médiation, ou le cas échéant, d’initier un arbitrage. Face à ce constat, des rapprochements se sont opérés, surtout et en particulier durant la crise sanitaire, où l’on se rend compte que la médiation et l’arbitrage constituent de formidables outils au bénéfice des juristes d’entreprise.

Marc : Nous représentons deux organisations qui ne poursuivent aucun but lucratif et nous veillons à la défense d’intérêts collectifs. A travers l’expérience des juristes d’entreprise, nous nous rendons compte que souvent, ce ne sont pas les procédures judiciaires qui mènent au meilleur résultat. Parmi les solutions que le CEPANI offre, il y a d’abord la médiation.  J’ai moi-même eu plusieurs expériences de médiation voire de conciliation, qui permettent aux parties de comprendre les besoins des uns et des autres, et d’être acteur de la solution, plutôt que de s’en remettre à un juge. Nous estimons qu’il est important de sensibiliser nos 2100 membres, juristes d’entreprise, aux avantages des méthodes alternatives de règlements de conflits, et de faire connaître le CEPANI, qui offre un cadre permettant d’atteindre une solution satisfaisante pour les conflits auxquels nos membres sont confrontés.

4. Etes-vous d’accord avec le constat suivant : les entreprises belges utilisent rarement des méthodes alternatives de résolution de litiges telles que la médiation et l’arbitrage. Pourquoi ? Qu’est-ce qui bloque d’après vous ?

Benoît : Il y a une véritable méconnaissance des modes alternatifs de règlement des litiges auprès des entreprises. Une des missions du CEPANI est de faire croître la connaissance et la pratique de la médiation et de l’arbitrage. L’idée est d’informer et de rassurer les entreprises sur l’utilité et les avantages de ces méthodes alternatives de règlement des conflits. On parle beaucoup d’arbitrage, mais avant d’arriver à l’arbitrage qui est l’étape ultime, il y a d’autres modes alternatifs de règlement de litiges (par exemple la médiation, l’adaptation du contrat par un tiers en cas de circonstances imprévisibles (aussi appelée « tierce décision obligatoire »), ou encore le recours à une expertise technique…). Le CEPANI propose des règlements adaptés à ces différentes situations, et assure un accompagnement administratif de ces modes de résolution amiable des différends.

Marc : Je constate que de plus en plus de grandes entreprises privilégient progressivement les modes alternatifs de conflits. Pour les grands litiges, l’arbitrage est souvent perçu comme plus adéquat que la procédure judiciaire assez aléatoire et présentant plusieurs degrés d’instance pouvant impliquer une très longue durée. La confidentialité constitue également un élément important. De manière générale, je pense que pour les grandes entreprises, l’arbitrage est de plus en plus prégnant. En ce qui concerne les PME, on observe encore une grande utilisation des procédures judiciaires. Peut-être que certains avocats pourraient aussi y être plus sensibilisés et amener leur client vers cette voie. Les avocats auraient pour moi aussi, à côté des juristes d’entreprise, parfois plus souvent un rôle de négociateur pour arriver à une solution plus consensuelle. Indépendamment des intérêts économiques, je vois aussi toute la valeur philosophique et sociale d’une telle démarche plus constructive.

Benoît  : Je voudrais rajouter que pour les PME il y a toute la problématique de la spécialisation grandissante des matières juridiques .Or, force est de constater que dans certaines juridictions, il n’y a pas suffisamment – ceci est bien normal – de magistrats pouvant faire valoir d’une très grande spécialisation dans certaines matières techniques très pointues. Le choix de l’arbitrage permet de désigner un tribunal arbitral pouvant faire valoir de qualifications particulières dans une matière très spécialisée. Un autre élément, que même les PME ne doivent pas négliger, est l’aspect linguistique. Nous vivons dans un pays multilingue, mais les juridictions ne le sont pas. Si vous devez introduire une procédure à Anvers, où à Liège, et que toute la documentation est en anglais, vous allez perdre énormément de temps et d’argent à traduire tous les documents alors que vous avez la possibilité de recourir en Belgique à une médiation ou un arbitrage en langue anglaise pour résoudre le problème. Il ne faut pas non plus oublier qu’en arbitrage, la partie qui obtient gain de cause peut prétendre au remboursement de la totalité de ses frais de procédure, alors que ceux-ci sont fortement plafonnés dans le cadre d’une procédure judiciaire. Tous ces éléments sont, malheureusement, fréquemment ignorés par les entreprises, de telle sorte qu’effort d’information doit encore être accompli.

5. Comment voyez-vous la relation entre l’IJE et le CEPANI évoluer ? Pouvez-vous nous faire part de vos futures ambitions de collaboration ?

Marc : Nous avons une véritable ambition de structurer et de formaliser la collaboration entre l’IJE et le CEPANI et d’avoir des échanges sur la durée pour rester de manière permanente en interaction les uns avec les autres.

De manière concrète, nous organisons deux webinaires en collaboration avec la FEB et l’ICC Belgium le 8 et le 15 mars 2021, d’1h30 chacun, consacrés aux contrats internationaux, qui, depuis l’arrivée du Brexit et du coronavirus ne sont plus adaptés à ces nouvelles incertitudes.

Nous allons également participer au lancement d’une enquête avec le CEPANI sur l’utilisation par les entreprises des modes de règlement des différends.

Benoît  : Nous avons effectivement l’ambition de lancer une enquête aux membres du CEPANI, de l’IJE, de la FEB , d’Agoria, de la Confédération  Construction et peut-être encore aux membres d’autres associations professionnelles, dans les prochaines semaines, pour faire un état des lieux de l’utilisation par les entreprises des modes de règlement des différends afin de connaître leurs besoins, leurs craintes et attentes. Le CEPANI et l’Institut ont également l’ambition d’inviter à leurs groupes de travail chargés de la promotion de l’arbitrage (et des autres modes de résolution des conflits) un représentant de l’autre organisation. A terme, nous souhaitons aussi pouvoir, chaque année, organiser en commun un événement de formation et d’échange.

Nadia Karera
Membership Services Coordinator

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