L’adoption de la loi belge « lanceurs d’alerte » est attendue pour la fin de l’année : quelles conséquences pour les entreprises ?

La directive 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, qui a pour objectif de fixer des normes minimales en vue d’une meilleure protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne (« lanceurs d’alerte »), devait être transposée par les Etats membres pour le 17 décembre 2021. La Belgique, à l’instar de plusieurs autres Etats membres, a laissé passer le délai, sans adopter de loi transposant la directive.

La directive 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, qui a pour objectif de fixer des normes minimales en vue d’une meilleure protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne (« lanceurs d’alerte »), devait être transposée par les Etats membres pour le 17 décembre 2021. La Belgique, à l’instar de plusieurs autres Etats membres, a laissé passer le délai, sans adopter de loi transposant la directive.

En effet, si un avant-projet de loi avait été présenté en juillet 2021, et ensuite soumis à l’avis du Conseil National du Travail et du Conseil Central de l’Economie en novembre 2021, du Conseil Supérieur des Indépendants et des PME en janvier 2022, de l’Autorité de protection des données en avril 2022 et du Conseil d’Etat en juin 2022, la transposition en droit belge n’avait cependant plus progressé depuis lors.

Le 11 octobre dernier, un projet de loi a finalement été présenté à la Chambre des Représentants, constituant une avancée certaine pour la transposition de la directive, d’autant que le gouvernement a demandé que la matière soit traitée de manière urgente. A l’heure de la clôture de la présente contribution, le texte est encore en discussion à la Chambre, plusieurs amendements (mineurs) ayant été proposés. L’adoption de la loi devrait être attendue pour la fin de l’année au plus tard.

Sur base du texte actuel du projet de loi, l’on peut déjà succinctement en épingler ce qui suit en termes de contenu. A noter que ces règles ne s’appliqueront pas au secteur public, qui disposera de règles propres.

Champ d’application matériel

Le champ d’application matériel de la directive était déjà fort large, couvrant divers types d’infractions au droit de l’Union européenne, par exemple en matière de marchés publics, services financiers et prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, protection de l’environnement, sûreté nucléaire, santé publique, protection des consommateurs, protection de la vie privée et des données à caractère personnel, …

La loi belge devrait, par ailleurs, en sus des infractions aux domaines cités ci-dessus, également couvrir la lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale.

Champ d’application personnel

La loi belge devrait également avoir un champ d’application personnel très vaste, et ne sera pas seulement applicable aux travailleurs (employés / ouvriers)

Ainsi, devraient bénéficier de la protection notamment les (anciens ou futurs) travailleurs, les indépendants, les bénévoles et stagiaires (rémunérés ou non), les actionnaires et membres du conseil d’administration, de direction ou de surveillance (y compris les membres non exécutifs), les personnes travaillant sous la supervision et direction de cocontractants, sous-traitants ou fournisseurs, ainsi que les tiers en lien avec ceux-ci ou encore les facilitateurs.

Protection contre les représailles

Les auteurs de signalement bénéficieront d’une protection contre les représailles, par exemple, contre des mesures de suspension, mise à pied, licenciement, rétrogradation, refus de promotion changement de fonction ou lieu de travail, réduction de rémunération, modification d’horaire de travail, intimidation, harcèlement, ostracisme, discrimination, non-renouvellement ou résiliation anticipée d’un CDD, etc.

Alors que l’on aurait pu s’y attendre, le projet de loi ne prévoit, par contre, pas de « période de protection », comme cela peut être le cas dans certaines autres matières en droit social belge.

Cette protection leur est accordée pour autant que les lanceurs d’alerte aient eu des motifs raisonnables de croire que les informations qu’ils ont signalées étaient véridiques au moment du signalement et qu’elles tombaient sous le champ d’application de la loi, et que le signalement ait été effectué selon les canaux prévus par la loi (signalement interne, signalement externe ou divulgation publique). Il est également précisé que lanceur d’alerte ne perdra pas le bénéfice de la protection pour le seul motif que le signalement, qui avait été effectué de bonne foi, s’est finalement avéré inexact ou infondé.

Toute personne bénéficiant de la protection qui s’estimerait menacée ou victime de représailles pourra adresser une plainte motivée au coordinateur fédéral.

La personne s’estimant victime de représailles pourra également introduire un recours devant le tribunal du travail, y compris le cas échéant dans le cadre d’une procédure en référé. La loi instaure une présomption de causalité entre le préjudice subi par l’auteur du signalement en raison de la mesure de représailles, et le signalement. Il incombera alors ensuite à l’entreprise, auteur de la mesure préjudiciable, de renverser cette présomption, en démontrant que cette mesure était fondée sur des motifs légitimes (par exemple, en cas de licenciement, des motifs étrangers au signalement, tenant aux performances du travailleur, etc.).

Si la victime de représailles est un travailleur, le projet de loi prévoit l’octroi d’une indemnité forfaitaire, dont le montant variera de 18 à 26 semaines de rémunération (cette indemnité n’étant pas cumulable avec une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable octroyée sur base de la CCT n° 109) ; s’il s’agit d’une autre personne, l’indemnisation correspond au préjudice réellement subi, la victime devant apporter la preuve de son étendue.

En cas de signalement de violation en matière de services, produits et marchés financiers, de prévention du blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, il est même prévu que le travailleur puisse demande sa réintégration dans l’entreprise en cas de rupture de son contrat de travail.

Canaux de signalement interne

Les entreprises comptant au moins 50 travailleurs devront mettre en place des canaux de signalement et des procédures en vue du suivi interne des signalements, après consultation des partenaires sociaux (c’est-à-dire le conseil d’entreprise ou, à défaut, la délégation syndicale ou, à défaut, le CPPT ou, à défaut encore, les travailleurs eux-mêmes).

Ces canaux devront, au moins, être ouverts aux travailleurs, voire à d’autres personnes – tels les indépendants, etc. – si l’entreprise le permet.

La loi prévoit que les canaux de signalement interne doivent être privilégiés autant que possible par rapport aux canaux externes, mis en place par l’Etat belge.

Dans les plus petites entreprises, qui ne devront pas implémenter de canaux internes, sauf si un arrêté  royal en décide autrement, et qui n’implémentent pas volontairement de tels canaux, les travailleurs devront cependant alors faire usage des canaux externes.

Gestionnaire de signalement

Les canaux de signalement internes pourront, au choix de l’entreprise, être gérés en interne par un gestionnaire de signalement (« whistleblowing officer ») ou externalisés auprès d’un tiers, qui devra alors offrir des garanties suffisantes.

Le gestionnaire de signalement sera chargé de recevoir les signalements et d’assurer le suivi des rapports. Il est le point de contact de l’auteur du signalement, qu’il doit tenir informé de l’avancement de la procédure.

La fonction du gestionnaire de signalement doit pouvoir garantir son indépendance et l’absence de conflit d’intérêts. Il ne doit pas recevoir d’instructions dans la gestion d’un dossier concret et doit pouvoir rendre compte directement au plus haut niveau de la direction des risques ou des obstacles (potentiels) à l’accomplissement de ses fonctions.

Procédures de signalement interne et suivi

Les procédures de signalement interne et de suivi à mettre en place par les entreprises devraient au minimum comprendre les éléments suivants :

  • Un canal / des canaux pour la réception des signalements, lesquels doivent pouvoir être effectués tant par écrit qu’oralement (par exemple, par téléphone ou via un système de messagerie vocale). A la demande du lanceur d’alerte, le signalement doit également pouvoir être effectué par le bais d’une rencontre en personne, qui doit se tenir dans un délai raisonnable.

Ils doivent par ailleurs pouvoir être effectués de manière anonyme dans les entreprises de 250 travailleurs ou plus ;

  • Un accusé de réception doit être adressé à l’auteur du signalement dans un délai de 7 jours ;
  • La désignation du gestionnaire de signalement (cfr. ci-dessus) ;
  • Un délai raisonnable pour fournir un retour d’informations à l’auteur du signalement, lequel ne peut excéder 3 mois à compter de la date de l’accusé de réception ;
  • La mise à disposition d’informations claires et facilement accessibles concernant les procédures de signalement externe.

La loi ne stipule pas d’outil obligatoire via lequel ces règles devraient être implémentées. Cela pourra donc se faire, au choix de l’entreprise, via le règlement du travail, une convention collective du travail ou une simple politique d’entreprise, qui constituera l’outil le plus « souple » et « flexible ».

Mesures de sécurité

Les entreprises devront mettre en place des mesures pour sécuriser les canaux internes afin de garantir la confidentialité du lanceur d’alerte et des tiers éventuellement mentionnés dans les signalements, et empêcher l’accès aux membres du personnel non autorisés.

L’identité de l’auteur d’un signalement ne pourra être divulguée sans son consentement exprès et libre.

Archivage des signalements

Les signalements, y compris ceux effectués oralement, devront être archivés. Lorsque le signalement est effectué via une ligne téléphonique ou via un système de messagerie vocale, celui-ci pourra soit être enregistré, soit être retranscrit de manière complète et précise, et l’auteur du signalement doit avoir la possibilité d’approuver cette retranscription.

A cet effet, les entreprises devront tenir un registre spécifique, contenant tous les signalements reçus.

Le projet de loi prévoit, à l’heure actuelle, que les signalements devront être conservés pour la durée de la relation contractuelle entre l’auteur du signalement et l’employeur. La durée de conservation qui serait applicable à un signalement effectué par un tiers n’est cependant pas précisée, dans l’hypothèse où une entreprise choisirait d’ouvrir ses canaux internes à d’autres personnes que ses travailleurs.

Sanctions

Les infractions aux dispositions de la loi sur les signalements internes et leur suivi seront notamment passibles d’une sanction de niveau 4 sur base du Code pénal social, c’est-à-dire soit une peine d’emprisonnement allant de 6 mois à 3 ans et/ou une amende allant de 4.800 à 48.000 EUR, soit une amende administrative allant de 2.400 à 24.000 EUR (par travailleur).

Entrée en vigueur de la loi

La nouvelle loi entrera en vigueur 2 mois après le jour de sa publication au Moniteur belge.

Il est cependant prévu que les entreprises du secteur privé comptant entre 50 et 249 travailleurs disposeront d’un délai jusqu’au 17 décembre 2023 pour mettre en place les canaux de signalement interne.

Les entreprises de plus de 250 travailleurs devraient, quant à elles, bien se tenir prêtes pour fin 2022 - début 2023.

Sarah Cluydts – Avocate Senior Claeys & Engels

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