"Une nouvelle façon de faire faillite" : un an de faillite pre-pack, un bilan

La procédure de préparation privée d’une faillite, mieux connue sous le nom de "la faillite silencieuse" ou encore appelée "le pre-pack belge", existe maintenant depuis plus d'un an

La procédure de préparation privée d’une faillite, mieux connue sous le nom de "la faillite silencieuse" ou encore appelée "le pre-pack belge", existe maintenant depuis plus d'un an.[1]

La procédure a été importée du Royaume-Uni, où le concept de "pre-pack administrations" est connu depuis des décennies. Depuis la fin des années 2023, elle est devenue l'un des outils les plus populaires pour réaliser une relance. Pensez, par exemple, aux cessions de la chaîne de magasins de jouets ‘Fun’, du groupe de mode ‘Cassis & Paprika’, du fabricant d'autobus ‘Van Hool’ et aussi maintenant de la chaîne de restaurants ‘Lunch Garden’, qui ont toutes été pre-packées (littéralement traduites : "préemballées") dans le cadre de ce processus de préparation.

La discrétion est le principal atout pour une entreprise virtuellement en faillite afin de préparer le transfert de ses actifs et activités avant de déposer publiquement le bilan. Un terreau favorable pour la pratique de distressed M&A en Belgique, offrant de nombreuses opportunités pour les professionnels du redressement, comme le démontre plus d’une année d’expérience pratique.

  1. Contexte

La préparation privée a été spécifiquement conçue pour éviter les effets négatifs de la faillite et préserver autant que possible la valeur d'exploitation (« going concern ») de l'entreprise. [1] Elle permet ainsi d’éviter certains inconvénients majeurs de la procédure d'insolvabilité traditionnelle visant à un transfert d'entreprise, auparavant connue sous le nom de PRJ par transfert sous autorité de justice[2] ou de LCE III. Cette procédure est souvent considérée comme trop lente, trop complexe et trop coûteuse. De plus, la publicité qu'elle implique (publication au Moniteur belge, modification du statut dans la BCE, organisation d'un processus d’appel d'offres public, etc.) s'est avérée dans de nombreux cas préjudiciable à la valeur de l'entreprise, en particulier pour les sociétés actives dans des marchés concurrentiels où les clients et les fournisseurs se tournent rapidement vers la concurrence.

  1. Procédure

Une entreprise en état de faillite demande au tribunal l’entreprise d'être admise à la phase de préparation privée. Elle doit démontrer, qu’en procédant au pre-pack de ses activités d’entreprise:

  • la liquidation de l'entreprise sera facilitée et un paiement maximal aux créanciers collectifs pourra être assuré; et
  • l'emploi pourra être préservé autant que possible.

Le tribunal traite la demande de manière confidentielle et dans un délai de 3 jours. Si la demande est acceptée, l'entreprise dispose de 30 jours pour préparer le transfert total ou partiel de ses actifs et  activités (prolongeable jusqu’à un maximum de 60 jours). [3]Le tribunal désigne un ‘curateur potentiel’ et un ’juge-commissaire potentiel’ qui supervisent le processus et évaluent en permanence la faisabilité d'un transfert.

Une fois que le transfert est ‘préemballé’ avec succès, la phase de préparation prend fin et la faillite est officiellement déclarée ouverte à la demande du débiteur.  Le curateur potentiel et le juge-commissaire potentiel sont alors formellement nommés en tant que curateur et juge-commissaire.

Immédiatement après la déclaration de faillite, la transaction de transfert sera exécutée "en going concern" par le curateur. Le juge-commissaire accordera, en cette qualité, l’autorisation pour la vente des actifs.[4]

  1. Avantages

En réalisant un transfert "en going concern", l'entreprise conserve sa valeur, ce qui se traduit par une meilleure préservation de l’emploi et un rendement supérieur pour les créanciers de la faillite (par rapport à la valeur de liquidation en cas de vente des actifs pièce par pièce).

Le caractère privé de la procédure est essentiel à cet égard. Aucune publicité n'est donnée au processus de préparation, ni à la demande, ni à son ouverture. La désignation du curateur potentiel se fait également à huis clos. Cela permet d'éviter toute inquiétude parmi les clients, les fournisseurs, les financiers et les employés. Pour maintenir cette confidentialité pendant la procédure, les accords de confidentialité ne sont évidemment pas superflus lorsque des pourparlers de reprise avec des tiers sont entamés. Cette confidentialité contraste fortement avec la publicité traditionnellement donnée aux procédures de réorganisation judiciaire.[5]

Le débiteur conserve le contrôle de ses activités pendant la préparation du transfert. Il va de soi que l'organe administratif mènera toujours des négociations avec les candidats repreneurs en concertation avec le curateur potentiel. Le curateur potentiel a droit à des informations, y compris sur la gestion de l’entreprise et les paiements, et veille, pendant cette phase préparatoire, aux intérêts des créanciers collectifs sous la supervision du juge-commissaire potentiel.

Le curateur potentiel lui-même ne peut pas entrer directement en contact avec des candidats repreneurs potentiels sans l'accord du débiteur.[6] Il ne procède donc pas à une vente publique. Cette démarche est d’ailleurs fortement déconseillée. L'intervention soudaine d'un curateur potentiel - généralement un avocat expérimenté en matière d'insolvabilité – risque en effet de déclencher rapidement des signaux d'alarme. Faire appel à un conseiller indépendant en M&A pourrait être plus approprié pour explorer le marché, si le débiteur le souhaite.

L'obligation légale du débiteur de déposer le bilan dans les délais est suspendue pendant ce processus préparatoire.[7] L’administrateur ne risque donc pas de voir sa responsabilité engagée, même si plus de 30 jours se sont écoulés depuis la cessation des paiements de manière durable.

[8]Le transfert ne s'accompagne pas de formalités de notification fastidieuses à l'égard des créanciers publics, comme c'est généralement le cas dans les asset deals sous seing privé, qui sont négociées à l'amiable en dehors des tribunaux.

De plus, les règles concernant la reprise du personnel sont moins rigides. Bien que le débiteur doive démontrer dans sa demande que la préparation privée est dans l'intérêt de l'emploi, un repreneur potentiel n'est pas obligé, en vertu de la CCT n° 32bis, de reprendre tous les employés liés à l'entreprise.[9] Cependant, le personnel repris conserve son ancienneté et ses conditions de travail.

Enfin, le risque que le transfert soit contesté à un stade ultérieur est relativement limité, puisque c'est finalement le curateur potentiel qui, après l'ouverture de la faillite, exécutera lui-même le transfert préparé, après autorisation du juge-commissaire. La préparation privée offre alors également un certain degré de sécurité juridique accru.

  1. Points d’attention
  • Pas de suspension - Pendant cette phase de préparation, les créanciers peuvent encore réaliser leurs sûretés, prendre des mesures conservatoires et d'exécution et citer le débiteur en faillite (contrairement aux procédures de réorganisation judiciaire).[10]
  • Parties liées et insiders - Le débiteur lui-même et les parties qui lui sont liées peuvent également se présenter comme candidats repreneurs potentiels, à condition que le curateur potentiel et le juge-commissaire potentiel soient dûment informés de leur relation avec le débiteur.[11]
  • Rôle du curateur potentiel - Le curateur potentiel supervise le processus et représente les intérêts des créanciers collectifs. Il a intérêt à réaliser le transfert préparé au prix le plus élevé possible, car ses honoraires sont calculés en pourcentage de l'actif réalisé. Une collaboration étroite et une bonne entente avec le curateur potentiel sont donc essentielles à la réussite du transfert.
  • Pression temporelle - Le délai relativement court (30 à 60 jours) peut constituer un défi : le débiteur doit agir rapidement et négocier sous la pression du temps.
  • Phase préparatoire - Le débiteur participe uniquement à la préparation du transfert de l’entreprise. La conclusion et l'exécution effective du transfert n’ont lieu qu’après la déclaration de faillite, et sont immédiatement réalisées par le curateur.
  • [12]Contrats en cours - Celui qui reprend une entreprise issue d’une faillite pre-pack devra, le cas échéant, renégocier avec les clients et/ou les fournisseurs pour être autorisé à reprendre les contrats existants ou à en négocier de nouveaux.
  1. Conclusion : un outil utile pour la pratique de distressed M&A

La préparation privée fournit un cadre juridique permettant aux entreprises au bord de la faillite de préparer efficacement la relance de leurs activités. Elle permet également aux financiers des débiteurs de faciliter une relance qui minimise leurs pertes. Bien que la procédure présente certaines difficultés, telles que l'absence de protection contre les créanciers, elle offre de nombreux avantages significatifs, tels que des économies de temps et d'argent, la discrétion, le contrôle, la préservation de la valeur et une plus grande sécurité juridique pour toutes les parties concernées.

Auteurs
Louis Verstraeten et Jente Dengler


[1] Doc. Parl., Chambre, 2022-2023 , n° 55-3231/001, p. 80.

[2] Article XX.84-97 CDE.

[3] Article XX.97/2-3 CDE.

[4] Article XX.142, CDE. Le cas échéant, le curateur peut également demander au tribunal de ratifier le transfert (article XX.166, § 3 CDE).

[5] Article XX.48 CDE. Néanmoins, la loi du 7 juin 2023 a également introduit des variantes décidées de certaines procédures de réorganisation, qui ne visent toutefois pas particulièrement un transfert d'entreprise (voir article XX.83/22 CDE et suivants).

[6] Article XX.97/4 CDE.

[7] Doc. Parl., Chambre, 2022-2023 , no. 55-3231/001, p. 81. Veuillez noter que d'autres motifs de responsabilité (par exemple, le wrongful trading en vertu de l'article XX.227 du CDE) continuent de s'appliquer sans modification.

[8] On peut penser, par exemple, aux attestations conformément à l'art. 50 CRAF et à l'art. 41quinquies de la loi du 27 juin 1969 sur la sécurité sociale des travailleurs afin de rendre un transfert de fonds de commerce opposable au fisc et à l'ONSS.

[9] Tant que la question préjudicielle dans l'affaire "Wibra Belgium NV" (C-431/23) pendante devant la Cour de justice, qui concerne toutefois l'ancien PRJ par transfert sous autorité de justice, n'hypothèque pas indirectement l'applicabilité de cette nouvelle procédure pre-pack.

[10] Articles XX.50 et XX.83/24 CDE.

[11] Article XX.97/3 CDE.

[12] Il en va différemment dans une PRJ par transfert public sous autorité de justice. Dans ce cas, le candidat repreneur peut choisir les contrats de l'entreprise qu'il souhaite reprendre, y compris les dettes, sans avoir besoin de l'accord du cocontractant concerné. La préparation à la faillite privée n'offre pas cette possibilité.

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